Mafia Blues sur le Lyon-Turin
Dimanche 28 Février 2021
Dans quelques mois, près de 4 milliards d’euros de marchés publics seront attribués à nombreuses entreprises pour la phase principale du creusement du tunnel transfrontalier de la liaison Lyon-Turin. De quoi faire saliver quelques organisations peu recommandables pour lesquelles un chantier de cette envergure représente un bel objet de convoitise.
En Italie, cela fait longtemps que l’activité de Cosa Nostra ne se limite plus à des trafics organisés par des hommes en costumes rayés, coiffés de Borsalino et armés de sulfateuses. Blanchiment d'argent, malfaçons lucratives, corruption… les grands chantiers publics ne sont pas épargnés par les infiltrations mafieuses qui gangrènent l’économie de la péninsule. Il y a une dizaine d'années, le chantier du Lyon-Turin en avait fait modérément les frais. Une entreprise italienne liée à la Ndrangheta (mafia calabraise) avait été retenue pour fournir et poser des clôtures grillagées dont la piètre qualité s'est avérée très en deçà des exigences du cahier des charges.
Un dispositif de contrôle unique en Europe
Pour prévenir tout nouvel épisode de ce type, la France et l’Italie se sont dotées d’un dispositif inédit qui fait désormais référence. Inspiré des sévères règles juridiques italiennes en la matière, il s’agit du premier cas en Europe d’application d’une législation antimafia à un niveau transnational. Inscrit dans les traités franco-italiens relatifs au chantier du tunnel, le dispositif s’appuie sur un strict règlement des contrats et une structure binationale chargée d’effectuer les contrôles. C’est en février 2018 que les Préfets de Turin et de la région Auvergne-Rhône-Alpes ont signé la convention créant cette structure (voir la vidéo en cliquant ici).
Concrètement, toutes les entreprises et leurs sous-traitants qui candidatent pour décrocher un marché sur le chantier du tunnel doivent impérativement présenter dans leur offre une batterie d’informations très précises sur leurs activités, leurs dirigeants, leur architecture juridique et financière…
20.000 contrats d'entreprises prévus au total sur le chantier
Au sein de la structure binationale, les deux Préfets partagent ces informations passées au crible par leurs services (douaniers, policiers, gendarmes, magistrats…) qui ne lésinent pas sur les moyens d’investigation. Si les entreprises sont en règle, elles sont alors inscrites sur une "liste blanche", condition indispensable pour décrocher un contrat. Des contrôles sont également réalisés pendant les travaux sur les entreprises ayant remporté un contrat.
"Depuis la création de la structure, plus de 600 entreprises ont été contrôlées et seulement deux ont fait l’objet d’une décision défavorable" confie un acteur du dispositif qui met en avant les évidentes vertus dissuasives de la démarche. Les entreprises douteuses savent qu’elles auront du mal à passer à travers les mailles du filet et préfèrent éviter de tenter le diable. Avec la montée en puissance du chantier (20.000 contrats d’entreprises prévus au total), la structure de contrôle se prépare à muscler son activité. Les descendants de Don Corleone sont prévenus…