Alexandre GALLO, P-DG de DB Cargo France et Président de l’Association Française du Rail (AFRA)
« Les opérateurs sur le marché franco-italien souffrent trop des vicissitudes de l’infrastructure existante pour ne pas souscrire à 100% au Lyon-Turin »
Filiale française du géant allemand du fret ferroviaire, DB Cargo France vient de rejoindre la liste des grandes entreprises du rail membres du Comité pour la Transalpine. Son PDG Alexandre GALLO, par ailleurs Président de l’Association Française du Rail, explique l’intérêt des professionnels du secteur pour le Lyon-Turin.
Que représente l’activité de DB Cargo France et quelles sont les spécificités de l’entreprise ?
Nous produisons à peu près 20.000 trains par an dont près de 60% de et vers l’international, avec un peu moins de 1000 personnes et un parc en propriété de 135 locomotives, dont 65 électriques interopérables. Notre cœur de métier c’est la longue distance, rendue possible grâce à notre réseau de 18 agences réparties sur le territoire et implantées à une journée de service de conducteur les unes des autres. Nous desservons tous les pays frontaliers de la France.
La crise énergétique porte un coup dur aux opérateurs de fret ferroviaire dont la situation était déjà fragile. Restez-vous confiant sur l’objectif de doublement de la part modale du fret ferroviaire d’ici 2030 ?
La crise énergétique nous impacte fortement, avec un coût de l’électricité multiplié par 8 en moins de 3 ans. Il est aujourd’hui paradoxal de constater que produire un train en utilisant du gasoil est moins cher, bien que moins vertueux d’un point de vue environnemental. La conjoncture et la compétitivité du transport routier de marchandises provoquent au mieux un report des projets de report modal, au pire un retour vers la route de chargeurs pourtant engagés vers le mode ferroviaire. Le contexte social n’arrange pas les choses car les circulations du fret sont très impactées par les grèves.
A cette mauvaise conjoncture s’ajoutent des problèmes structurels qui peuvent mettre davantage en danger l’objectif de doublement de la part modal du fret ferroviaire d’ici 2030. Je pense notamment à l’état du réseau français dont on paye aujourd’hui le sous-investissement chronique depuis des décennies. La planification des travaux et la gestion des circulations sur le réseau pénalisent également le développement du secteur.
En rejoignant le Comité pour la Transalpine, vous témoignez votre intérêt pour la future liaison Lyon-Turin. Que changera-t-elle par rapport aux infrastructures existantes ?
Il y a une vraie demande pour cet axe franco-italien, avec un trafic de marchandise sur la route très intense. Au-delà de la compétitivité du mode routier, le marché existe pour nous mais il faut fiabiliser les circulations, raccourcir les temps de transit et augmenter la capacité. Le tunnel sous les Alpes peut nous permettre de résoudre cette équation. Je rappelle que nous sommes très limités aujourd’hui, non seulement en termes de nombre de sillons mais aussi par le gabarit. Or, les chargeurs demandent des chargements en P400 que nous ne pouvons leur proposer actuellement.
Mais il va falloir prendre rapidement les bonnes décisions ! Et pour l’instant, alors que le gouvernement italien a fait ses choix, avec l’ambition de faire transiter 25 millions de tonnes de fret par an via le tunnel international, la France n’a encore acté ni tracé final, ni gabarit, ni capacité de la liaison de ce côté des Alpes.
Depuis l’année dernière, vous êtes également Président de l’AFRA (Association Française du Rail) qui rassemble les opérateurs alternatifs à la SNCF. Vos membres partagent-ils votre analyse sur l’intérêt de réaliser au plus vite le Lyon-Turin ?
Les opérateurs présents sur le marché franco-italien souffrent trop des vicissitudes de l’infrastructure existante pour ne pas souscrire à 100% à la démarche. Et quand je dis opérateurs, je ne pense pas uniquement aux entreprises ferroviaires, mais également aux opérateurs de transport combiné rail-route.
Quelles conditions seront nécessaires pour garantir la réussite du Lyon-Turin et son attractivité pour les opérateurs ?
D’abord une exigence de cohérence internationale pour éviter les difficultés rencontrées par le tunnel franco-espagnol du Perthus. Lors de sa mise en service en 2011, l’ouvrage transfrontalier n’était pas correctement connecté jusqu’à Barcelone et il a fallu du temps avant que le prolongement de la ligne côté espagnol soit réalisé. Il faut en tirer les leçons avec le Lyon-Turin.
C’est la raison pour laquelle nous réclamons de la cohérence technique mais aussi opérationnelle. Celle-ci ne pourra être garantie que si nous sommes associés aux travaux en cours afin de définir les règles et les procédures applicables sur la future liaison, ce qui est hélas encore loin d’être le cas.