Paolo FOIETTA, Président de la Commission Intergouvernemental pour le Lyon-Turin

Dimanche 12 Décembre 2021

« L’Italie garantira la programmation de ses accès au tunnel transfrontalier »

Le Président en exercice de la Commission Intergouvernementale pour le Lyon-Turin (CIG) est depuis longtemps l'un des meilleurs experts du dossier. En vue de la prochaine réunion de la CIG qui se tiendra le 15 décembre à Turin, il a accepté de répondre aux questions du Comité pour la Transalpine. L'occasion pour l'ancien Commissaire du gouvernement italien de rappeler les engagements de l'Italie sur le calendrier de réalisation des voies d'accès italiennes au tunnel transfrontalier… mais aussi les attentes de nos voisins concernant la section française.   

La Transalpine : Pourquoi le Lyon-Turin est-il stratégique pour l’Italie, et notamment pour ses relations avec la France ?

Paolo FOIETTA : Les relations économiques, sociales et culturelles entre l’Italie et la France sont anciennes, solides et continuent de se renforcer. A l’occasion de la récente signature du traité du Quirinal, le Président DRAGHI a déclaré : « Nous, L’Italie et la France, partageons bien plus que des frontières. Notre histoire, notre art, nos économies et sociétés sont étroitement liés depuis longtemps. Les institutions que nous avons l’honneur de représenter s’appuient sur les mêmes valeurs républicaines, sur le respect des droits humains et civils, sur l’européanisme. »

La France est le deuxième partenaire commercial de l’Italie et, dans de nombreux secteurs, le premier, avec un équilibre substantiel entre l’import et l’export. Nos systèmes industriels sont toujours plus intégrés et synergiques. Le Lyon-Turin est l’infrastructure – moderne, soutenable, européenne – fondamentale pour soutenir et renforcer ces relations. Il est le maillon manquant d’une grande infrastructure européenne qui doit remplacer le glorieux mais obsolète tunnel du Fréjus. Après 150 ans de service, le premier et le plus vieux tunnel des Alpes est désormais absolument inadapté aux standards du transport et de sécurité du XXIème siècle.

Où en sont les travaux du tunnel de base côté italien et quelles sont les prochaines étapes ?

Les marchés d'environ 1 milliard d’euros pour la partie italienne du tunnel seront attribués par TELT début 2022. Le retard par rapport à la partie française est dû en partie à la "pause de réflexion" voulue par le gouvernement de coalition Mouvement 5 Etoiles - La Ligue. Cette pause s’est achevée à la fin de l’été 2019 avec la décision du Président du Conseil Giuseppe CONTE de débloquer les appels d’offres. La décision de l’Italie de poursuivre la réalisation du Lyon-Turin - y compris les voies d'accès au tunnel transfrontalier - est aujourd’hui ferme, sans ambiguïté et enfin définitive. Tout comme la volonté de rattraper, dans la mesure du possible, ces retards.

Le tunnel de base devrait être livré à l'horizon 2030. Sur quel calendrier l’Italie travaille-t-elle pour la livraison de sa section nationale ?

Le maître d'ouvrage public franco-italien TELT a défini le calendrier pour la mise en service du tunnel. La même programmation sera garantie par l’Italie, y compris pour ses accès. Le Commissaire du Gouvernement Calogero MAUCERI, nommé ad hoc pour réaliser l’infrastructure, présentera, en accord avec RFI [Rete Ferroviaria Italiana, le gestionnaire du réseau ferré italien, NDLR], son calendrier à l’occasion de la CIG du 15 décembre. Les couvertures économiques seront intégrées dans le Contrat de gouvernement avec Ferrovie dello Stato [l'équivalent italien de la SNCF, NDLR] pour la période 2022-2026, en cours de rédaction par le Ministère italien des Infrastructures et de la Mobilité durable.

Le projet des voies d’accès italiennes est stabilisé depuis 2017. Quelles sont ses grands principes ?

Le modèle d’exploitation de la section nationale en phase 1 a été étudié et partagé avec l’Observatoire pour l’axe ferroviaire Turin-Lyon en 2017 par un groupe de travail constitué de RFI, TELT et un groupe d’experts (transporteurs et académiciens italiens) que j’avais nommé en tant que Commissaire du Gouvernement. L’étude a permis d’analyser les caractéristiques et la capacité de la ligne existante et de vérifier la possibilité de l’adapter aux standards européens et aux volumes de trafic attendus avec l’ouverture du tunnel transfrontalier.

Sur la base de ce modèle, qui a été approuvé par le Gouvernement (CIPE) en décembre 2017, les éventuelles interventions de modernisation et de montée en puissance de la ligne existante ont été définies et les sections nécessitant une nouvelle infrastructure ont été identifiées. La réalisation de la section italienne a un coût global de 1,9 milliards d’euros.

Pour la partie à moderniser sur la ligne historique entre Bussoleno et Avigliana, RFI développe déjà le projet définitif des interventions prévues et les travaux commenceront d’ici la fin de l’année prochaine et début 2023.

La section nouvellement construite (version de la « Collina Morenica ») reliera, avec un tunnel de 18 km, Avigliana au terminal de fret de Orbassano ; terminal qui, en conformité avec la nouvelle infrastructure, sera adapté aux standards européens et connecté aux grands pôles logistiques adjacents (Sito, CAAT…). L’achèvement des travaux est prévu en 2031 avec une mise en service en 2032 quand la section transfrontalière sera opérationnelle.

Quelles seront les capacités de la section italienne ?

Les actions programmées permettront une capacité maximale sur la ligne de 162 trains de marchandises au standard européen (gabarit PC80, longueur jusqu’à 750 m, 2000 tonnes) et de 24 trains de passagers à grande vitesse par jour. Cela représente une capacité potentielle de transport de marchandises qui dépasse les 25 millions de tonnes par an [à l'ouverture du tunnel transfrontalier, le projet de la section française table à ce jour sur une capacité de 10 Mt/an, NDLR]. Pour les voyageurs, cela représente 4 millions de passagers par an sur la ligne Milan-Lyon, couvrant Paris (et donc également Londres et Bruxelles), mais aussi Milan-Lyon-Marseille (et Barcelone), en grande partie captés aujourd'hui par l’aérien.

Cela représente donc une contribution fondamentale à la transition écologique du système des transports qui, une fois achevée, contribuera de manière significative aux engagements de réduction de CO2 pris par l’Europe et par nos pays.

Naturellement, il est fondamental que ces conditions soient garanties également sur les accès français, de Saint Jean de Maurienne à Lyon. Pour cela, lors de la réunion du 15 décembre, la CIG lancera la constitution d’un Comité d’opérateurs ferroviaires pour accomplir ces vérifications qui sont fondamentales pour garantir la pleine fonctionnalité de la future liaison.

Au-delà de l’avancée des travaux, quelles orientations favorables au projet vous semble souhaitables ?

Turin et Lyon ne sont pas les extrémités d’une ligne ferroviaire mais deux nœuds importants d’un corridor européen, le Corridor Méditerranéen qui connecte l’Ouest et l’Est de l’Europe : l’Espagne, la France, l’Italie, la Slovénie, la Croatie, et la Hongrie.

Sur son parcours d’Est en Ouest, le Corridor Méditerranéen est interconnecté avec 7 autres Corridors ferroviaires de marchandises et traverse 3 des 4 principales zones industrielles d’Europe : la Catalogne, Auvergne-Rhône-Alpes et Piémont-Lombardie. Le PIB des pays traversés par le Corridor Méditerranéen est d’environ 5.700 milliards d’euros (Source Eurostat 2019) avec une population de 190 millions d’habitants. Le Corridor relie plus de 100 terminaux intermodaux, 5 des principaux ports maritimes de la Méditerranée et deux importants Ports Fluviaux (Lyon et Budapest).

La section Turin Lyon est donc le maillon manquant d’un projet bien plus grand et stratégique qui représente l’avenir de l’Europe. Pour la pleine réalisation du Corridor Méditerranéen il faut impliquer tous les autres pays, les autres régions et villes qui en font partie. La sensibilisation de l’Italie et de la France, du Piémont et d’Auvergne-Rhône-Alpes, de Turin et de Lyon ne suffit pas, il faut lancer un processus bien plus vaste de partage et d’intégration.

C’est pourquoi je pense que la constitution d’un Groupe Européen de Coopération Territorial (GECT) du Corridor Méditerranéen serait une occasion importante pour partager les connaissances et renforcer la cohésion économique, sociale et territoriale des Etats et des régions traversées.

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